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Les contes et le pouvoir d'influence

Quand le Petit Poucet s'invite au Mac Do et que Cendrillon regrette de ne pas avoir la dernière application téléphonique de la RATP !

Les contes se revisitent depuis leur création. Renaissance contemporaine sous la forme d'albums ou de bandes dessinées, les contes s'invitent également dans la publicité.


Inscrits dans les programmes scolaires, les contes se diffusent aussi bien dans les salles de classe que dans les foyers. Sous couvert d'une volonté de construire une culture commune et d'encourager à la diffusion du patrimoine, les contes sont considérés comme des lectures incontournables, est peuvent dès lors être sources d'exploitation médiatique. Dernièrement, la société de transports en commun RATP (Régie autonome des transports parisiens) qui compte 5,26 millions de voyageurs par jour dans le métro de Paris en 2013 et l'entreprise McDonald's France qui vend un million de repas par jour ont toutes deux eu recours aux contes en tant que supports publicitaires. Ce choix stratégique indique l'évidence commune que chacun d'entre nous, indépendamment de notre classe sociale ou de notre origine, connaît les contes. De ce patrimoine culturel commun présumé, les auteurs des campagnes publicitaires déduisent alors que les lecteurs ont connaissance des textes sources et de fait, sont en mesure de comprendre les sous-entendus de leurs accroches.

Il était une fois la fonction « autour de moi » de la RATP...

Ainsi, pour faire la promotion de la refonte de son application concernant les horaires et les déplacements sur Paris, la RATP a lancé en 2014 une campagne de communication qui reprend les codes des contes de fées. Dès lors, Le Petit Poucet n’a plus besoin de semer des cailloux pour retrouver son chemin, Cendrillon est certaine d'arriver à temps grâce à l'information en temps réel des déplacements et Boucle-d'Or peut trouver un service sur mesure pour son confort personnel !


Au-delà de la connaissance des textes sources, les publicistes supposent également que le public possède un esprit d'interprétation capable de comprendre les sous-entendus. Ils misent sur la complicité entre le lecteur et les contes et font appel à la sensibilité littéraire des consommateurs.


Ainsi, l'influence des motifs présents dans les contes merveilleux tels les miettes de pain semées par le Petit Poucet, le carrosse magique qui redevient citrouille ou bien le grand lit, le moyen lit et le petit lit qui laissent perplexe Boucle-d'Or, est réelle. Cette influence est rendue possible grâce à la présence du merveilleux dans le quotidien, le décalage de l'imaginaire dans la réalité suscitant la part de rêve chez le consommateur.


Aide à la diffusion d'une littérature ou sape intellectuelle ?


Marc Soriano, grand spécialiste des contes, explique que lorsque nous lisons les contes, nous le faisons imprégnés de notre époque et «au terme d'une longue évolution qui les a parqués et limités dans deux réserves : celle des spécialistes et celle de l'enfance.(1)» Or, une campagne publicitaire comme celle de la RATP indique que, de nos jours, les contes ne sont pas réservés aux seuls spécialistes ni aux enfants. Le pouvoir de ces histoires merveilleuses est toujours d'actualité. Encore à notre ère contemporaine, les fonctions de la littérature et du livre participent du partage culturel. En effet, il est toujours d'actualité d'accompagner les enfants dans leur lecture que ce soit dans le cadre familial ou à l'école (liste de références au programme officiel de l'Éducation nationale). C'est ainsi que, parallèlement aux rééditions des contes classiques, des réécritures sont régulièrement proposées sur le marché éditorial. Entre la parodie, l'adaptation, la réappropriation, la transposition, la variation et le mélange, le détournement est rarement respectueux des dimensions initiales du conte.


En 2015, le Happy Meal de chez McDonald's « évolue » : les enfants peuvent choisir entre un livre ou un jouet. McDonald's s'est associé à l'éditeur Hachette Jeunesse et propose désormais des contes exclusifs dans les menus réservés aux enfants. Ces livres sont issus d'une collection inédite imaginée par l'auteur Alexandre Jardin et l'illustrateur Hervé Le Goff. À travers la promotion des livres, McDonald's cherche à « donner le goût de la lecture au plus grand nombre (2)». Alexandre Jardin réaffirme l'objectif clé de l'opération en twittant que les 9 "contes" édités pour l'occasion pourront ainsi entrer "dans la vie de millions d'enfants éloignés du livre". Notons que depuis le 14 janvier 2015 (date du lancement de la campagne), tous les livres produits par Hachette pour McDonald's se retrouvent en vente sur Ebay, Amazon et Priceminister. Ainsi, aussitôt entrés dans la vie des enfants, les particuliers revendent les albums "dans leur emballage d'origine" pour une somme allant de 2,99 € à 5 € (pour rappel, le Happy Meal coûte 4 € et le livre seul 0,72 €). Alors que les français ont voulu jouer le jeu culturel, aux États-Unis, les albums qui accompagnent le Happy Meal sont une collection de contes diététiques dont le héros est un dinosaure soucieux de contrôler son alimentation afin de bien grandir.

Les contes édités par Hachette pour McDonald's « revisitent » les contes classiques sous la forme d'albums ludiques dans lesquels un personnage contemporain (un enfant) entre dans l'histoire afin d'intervenir auprès des personnages du conte pour les aider dans les difficultés qu'ils vont rencontrer. La touche humoristique de la réécriture et l'aspect ludique des jeux de devinettes, de motricité fine ou d'observation proposés à chaque double-page vont de pair avec (outre les sous-entendus sexistes) la structure du texte d'origine amputée et un langage simplifié et parfois inventé à partir de l'oralité enfantine :


« Lucie la commandeuse adore lire pendant que ces frères font ses corvées à sa place... (3)»

À la fin, la narration du conte d'origine et la moralité sont sacrifiées à l'autel de l'adaptation pour « tous » sous les traits d'une fausse facilité de compréhension du texte et d'une conclusion digne des cours de récréation : « Lucie la commandeuse se souviendra longtemps de sa journée passée au pays du Petit Poucet. Et je crois que le Petit Poucet, grâce à elle, ne se laissera plus jamais mener par le bout du nez... Quand même, elles sont fortes pour rendre la vie plus facile, les commandeuses ! (4)»

La page de garde finale interroge l'enfant sur ses pratiques de lecteur en affirmant qu' « on peut lire partout et tout le temps ». Pour notre part, nous nous interrogeons davantage sur la capacité à diffuser partout n'importe quelle « littérature » en détournant des textes qui constituent notre patrimoine culturel.


Le pouvoir des contes existe (5). Cette force est telle que les entreprises en exploitent le potentiel publicitaire, participant, tel McDonald's à la banalisation, voire à la dépréciation des textes sources à travers la diffusion déformée des structures narratives ou, telle la campagne de la RATP, à faire tinter la petite cloche de l'enfance qui suscite notre désir du merveilleux et de l'onirique. Si la publicité permet de donner vie aux histoires imaginaires de notre enfance, il est également à espérer qu'elle suscite auprès d'un large public l'envie de (re)lire les classiques si chers à notre patrimoine.


(1) Marc Soriano, Les Contes de Perrault. Culture savante et traditions populaires, « Bibliothèques des Idées », Gallimard, 1973, p. 97.

(2) https://www.mcdonalds.fr/famille/savoir-happy-meal

(3) Incipit de l'album « Tous avec le Petit Poucet ! »

(4) Dernière page de texte de l'album « Tous avec le Petit Poucet ! »

(5) Georges Jan, Le pouvoir des contes, Casterman, 1993.


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